10 DE JUNHO DE 1893 - MONTPELLIER: A CRÓNICA DA ATRIBULADA CORRIDA DE DIA 10 COM OS TOUREIROS ESPANHÓIS E O CAVALEIRO PORTUGUÊS JOSÉ BENTO DE ARAÚJO


 

Bibliothèque nationale de France

LA COURSE DE MONTPELLIER

DÉMOLITION DE L’HIPPODROME

Séance des plus mouvementées, samedi soir, 10 juin, à l’Hippodrome de la rue Mareschal. ― Le directeur des arènes de Nimes, M. FAYOT, avait loué la salle pour deux courses de toros espagnols qui devaient être combattus par Angel ADRADA et sa cuadrilla et le caballero en plaza (José) Bento d’ARAUJO. Pour la circonstance le prix des places avait été extraordinairement augmenté; malgré ce, la salle était à demi-pleine.

À huit heures et demie, la cuadrilla fait une entrée magnifique et soulève des applaudissements unanimes, don’t une bonne part revient sans conteste à (José) Bento d’Araujo que beaucoup de nos concitoyens connaissaient déjà, pour l’avoir applaudi dans la course du 7 août 1892 et dans celle du 28 mai dernier.

Le premier taureau fait une sortie piteuse. C’est une superbe bête, bien armée et de poids; un veritable toro espagnol. Mais hélas! Ses qualités ne répondent pas à ses forms. Il arrive au petit trot sans conviction aucune, avec la mine résignée d’un mouton qu’on mène à l’abattoir, puis se plaçant au milieu de l’arène, il y reste fixé à demeure et comme rivé par d’invisibles boulons. En vain, Adrada l’attaque vaillamment; en vain, banderilleros et toreros tournoient autour de lui et le provoquent, l’animal est sourd et probablement aussi… paralysé car il ne bouge pas plus qu’une borne. Les toreros parviennent cependant à lui placer deux paires de banderilles qui paraissent lui donner un peu de vigueur, mais après deux ou trois sauts et quelques efforts inutiles pour s’enfuir, l’animal retombe dans son apathie et sa résignation habituelles dont rien ne peut plus dès lors le faire sortir. Adrada l’estoque bien après quelques passes aussi bonnes qu’elles peuvent l’être avec un pareil sujet.

Le public surexcité par l’élévation exorbitante du prix des places commence à protester par des sifflets et des huées qui ne font que s’accroître d’instant en instant. Inutile de dire que ces sifflets ne s’adressent qu’au taureau, tout le monde étant d’accord pour reconnaître la vaillance des toreros. Néanmoins une partie du public reste encore calme espérant que le deuxième taureau sera meilleur que son vongénère.

Hélas! Il est pire, si c’est possible, aussi les cris et les sifflets redoublent-ils. Cette course est l’image exacte de la première, il est donc inutile de nous répéter. Signalons cependant une excellente paire de banderilles al quiebro d’Adrada et deux autres très bonnes des banderilleros. Malgré toutes ces piqûres l’animal est aussi inerte que le premier et ce n’est qu’après de longs efforts qu’Adrada parvient à l’estoquer.

En présence de l’inertie et de l’apathie des taureaux, les protestations du public vont leur train; une banquette est même lancée des galeries et n’atteint heureusement personne. Les spectateurs les plus sages et les plus avisés prennent le parti sans attendre davantage de se précipiter vers les bureau du contrôle pour se faire rembourser mais peu nombreux sont les heureux qui peuvent y parvenir.


Cependant le clairon résonne et (José) Bento d’Araujo se présente pour combattre le troisième taureau. La foule abandonne les couloirs et regagne les gradins espérant contre toute apparence que ce taureau différera des deux premiers. C’est un animal au poil fauve aussi beau que les précédents, peut-être un peu plus fougueux mais tout aussi mauvais. À la vue du cheval, sachant ce qui l’attend, il n’a plus qu’un désir: s’enfuir.

(José) Bento (de Araújo), avec une maëstria incomparable, lui place néanmoins une bonne paire de banderilles, mais il est bientôt oblige de se retirer au milieu des applaudissements des spectateurs reconnaissants de ses vaillants efforts. La cuadrilla s’empare alors du taureau et ne parvient pas davantage à l’exciter. Dominguin l’estoque un peu bas. C’est la fin de la première partie qui doit être aussi la dernière.

Dans les couloirs, la foule se répand rapidement, assiégeant les bureau du contrôle et réclamant son argent avec force cris et protestations. Les pauvres employés qui n’en peuvent mais, sont bousculés et deux gendarmes de service ne sont pas de trop pour les protéger.

Après l’entracte, le quatrième taureau étant aussi mou que les précédents, le public furieux de se voir ainsi berné, perd patience et se met à démolir l’hippodrome. Alors commence une scène de pillage absolument inénarrable. Les pauvres toreros aussi vaillamnts que dévoués, veulent au risque de se faire blesser, continuer la course, mais ils sont forcés de se retirer sur l’invitation du public.

Dès ce moment, les projectiles ne cessent de tomber sur le taureau toujours aussi impassible et ahuri. Banquettes, chaises, cloisons des loges, tour ce qui peut se transformer en obus est lance dans l’arène. Quelques projectiles lances par des mains qu’on pourrait croise exercées, atteignent les globes des lampes électriques et les brisent.

Et cela a duré plus d’une heure sous l’œil de la police impuissante, jusqu’au moment où l’arrivée de quelques brigades de gendarmerie a permis de faire évacuer la salle. Encore a-t-on dû éteindre l’unique lampe électrique qui restait pour forcer à se retirer les spectateurs trop zélés qui s’acharnaient malgré tout à ce pillage renouvelé de celui qui eut lieu, il y a deux ans, lors de la course de Mazzantini.

Et maintenant que les évènements se sont passes et que les esprits se sont un peu calmés, essayons en chroniqueur fidèle et impartial de rechercher les responsabilités.

À notre humble avis, tout le monde a dans cette malheureuse affaire, à la fois tort et raison.

Il est fort incontestable quee le public qui avait payé fort cher, avait le droit d’exiger mieux. On aurait dû, puisqu’il était trop tard pour se procurer de nouveaux taureaux, lui donner raison en remboursant l’argent ou en renvoyant la course à une date ultérieure. Mais il est regrettable qu’on soit allé si loin; au reste, nous devons dire que les spectateurs payants ne sont peut-être pas les plus coupables, car après l’entracte, beaucoup de gens sont entrés sans payer à la faveur d’une poussée formidable et une fois dedans ne se sont pas gênés pour faire chorus avec les manifestants et faire même beaucoup plus de besogne qu’eux.

Suivant une expression que nous avons entendu en sortant et qu’on nous excusera de citer telle qu’elle: «Soun pas lous qu’an paga, qu’an fa lou maï dé brut».

C’est l’avis de beaucoup de personnes.

D’un autre côté, il est non moins incontestable que M. Fayot a eu le tort, le très grand tort de ne pas tenir tous ses engagements, car si la cuadrilla était excellente, et le caballero parfait, en revanche les taureaux ne valaient absolument rien. Nous avouons ne jamais avoir assisté à une exhibition d’un goût aussi douteux. Il faut reconnaître que le directeur a eu beaucoup de frais, mais tout le monde était d’avis que si l’augmentation du prix des places avait été légère, partant équitable, outre qu’il n’y aurait pas eu d’incident, la recette des deux soirées aurait couvert les frais et au-delà.

M. Fayot s’est trompé lorqu’il a cru que les Montpelliérains n’étaient pas de véritables aficionados. Ils ne sont peut-être pas aussi connaisseurs que les Espagnols, mais ils n’aiment pas néanmoins à payer bien cher ce qui ne vaut pas grand chose. Son plus grand tort est de vouloir donner de Gran Corridas avec des toros déjà courus. M. Fayot n’ignore pas les dangers présentés par ce genre de bêtes et les désillusions qu’elles entraînent généralement. La leçon servira-t-elle?

L’hippodrome de Montpellier contenant 4,000 places environ (ce qui est déjà fort beau) est relativement petit en comparaison des arènes de Nimes ou des plazas d’Espagne. Les entrepreneurs futurs, instruits par l’exemple de Mazzantini et de M. Fayot, feront donc bien, si leurs calculs ne leur permettent pas de donner des courses extraordinaires sans augmentation exagérée du prix des places, de se contenter ee donner de bonnes courses aux prix ordinaires. Cela vaudra mieux pour les aficionados (et pour les directeurs et aussi et surtout pour l’art tauromachique qui n’a rien à gagner aux scènes du genre de celles qui se sont passées samedi soir.

Puisse notre conseil être suivi par les intéressés, pour nous permettre d’assister en paix à des courses espagnoles!

Gaston MARCHAL.

In LA MISE À MORT, Nîmes – 17 a 24 de Junho de 1893