À propos de la Corrida
Les « Cavaliers en Plaza »
Puisque le Cri de Nimes m’invite — avec une complaisance qui m’est d’autant plus précieuse que je la sais toute amicale — à faire étalage d’érudition tauromachique... je m’exécute.
Que les esprits chagrins, les mécontents de tout, de tous et d’eux mêmes, ne viennent pas, à ce propos, m’accuser de battage en faveur de ces éternels conspués, mes excellents amis Aubert et Figuier. Ils en seraient pour leurs frais de mauvaise humeur et je ne m’en porterais pas plus mal.
J’écris ces quelques lignes pour les profanes, les néo-aficionados et, en général, pour tous ceux qui s’intéressent aux choses ignorées d’eux, autrement dit : les curieux d’apprendre.
Je me garderai bien de m’adresser aux «purs de l’aficion», aux «fervents de l’arène». Ceux-là en connaissent plus que moi tout en étant plus modestes.
Et d’abord, il ne faudrait pas croire que toutes les corridas de toros, où paraissent les «cavaliers en plaza», sont forcément des corridas royales. Ce sont les biterrois qui voudraient nous faire croire ça ! On sait que, dans notre République, Béziers est la seule ville qui se flatte d’organiser des courses royales, ainsi nommées, parce que, sans doute, elle les a toujours organisées avec le concours des rois du chiqué.
Ceci dit en guise de préambule, on ne doit pas confondre le cavalier en plaza ou rejoneador, de rite purement espagnol, avec le cavalier en plaza ou farpeador, spécial a la corrida portugaise. L’erreur serait grossière, car la différence entre ces deux suertes du toréo est des plus grande. Or, si chacun de ces exercices compte ses admirateurs, il n’en est pas moins vrai, à mon avis, que leur mérite, en ce qui concerne le danger couru, n’est pas égal.
Le rejoneador, ou cavalier en plaza espagnol, monte un cheval quelconque, pourvu qu’il soit bien en main, avec lequel il évolue autour du toro. Armé d’un épieu terminé en fer de lance (rejon, d’où lui vient son nom de rejoneador) il attend le moment opportun où son adversaire charge et découvre le garrot, pour le frapper de sa lance, à ce même endroit, et l’abattre si possible. Il combat l’animal cornes nues (l’animal s’entend !)
Le farpeador, ou cavalier en plaza portugais, monte un cheval dressé spécialement et, tout en se livrant aux mêmes évolutions, pique sur le garrot du fauve ses javelines (farpas, espèce de longues banderilles qui cassent au moment précis) en esquivant le coup de corne d’un adversaire dont les armes sont emboulées.
Les aficionados de la première heure se rappellent ces divers exercices d’équitation pure mis en pratique, dans notre plaza, par (José) Bento de Araujo, à l’époque où Fayot était surnommé le «Roi de Nimes».
En ces temps là, nous eûmes même l’avantage d’applaudir la crânerie d’une écuyère, mise en vedette par l’audacieux impresario, la rousse Maria Gentis dont la voix était aussi aigre que ses cheveux ; et la preuve, c’est qu’en un jour de danger, serrée de près par son brutal adversiare, son cri d’angoisse fit tourner le lait à une nourrice.
Voilà en quelques mots la différence des deux suertes expliquée le plus brièvement possible.
Pardonnez-moi, cher lecteur, adorable lectrice, ce cours succint de tauromachie théorique, et croyez bien que, dans la pratique, si l’animal se présentait à mes yeux, je ne saurais par quel bout l’entreprendre.
Ah certes oui, je serais loin de saisir le toro par les cornes, fut-il emboulé ! je me contenterais, ne vous en déplaise, de f...icher le camp.
Ma première ou plutôt ma seule rencontre avec un cornupète, a laissé des souvenirs trop cuisants dans la partie la plus charnue de ma mince personne pour me guérir à jamais de l’envie de recommencer.
Mosca.
In LE CRI DE NÎMES, Nimes - 28 de Setembro de 1907