Bibliothèque nationale de France
PLAZA DE TOROS
NIMES
Le premier toro porte le fer et la
devise de Hernan. Puissant de forme, bien armé, châtain brûlé, il fait une
sortie vigoureuse, mais son ardeur tombe aussitôt. Pepe Hillo le salue de deux véroniques et de quelques pointes de
capes (largas) auxquelles l’animal
répond à peine. Trois paires de banderilles piquées par Luiz et Gonzalito ne
peuvent parvenir à exciter l’ardeur morte de ce paisible ruminant. Pepe prend la muleta et, après quelques
passes variées, termine par un volapié marquant une bonne estocade.


On salue d’applaudissements l’apparition
de (José) Bento (de Araújo) ,
aussitôt sort le second animal, il prend une javeline du cavalier en place,
mais dédaigne bientôt son tourbillonant adversaire pour s’attacher à la
poursuite de gens à pied. (José)
Bento (de Araújo) insiste, le dédain
de l’animal le pousse à commettre des imprudences, et peu s’en faut que le
fauve agacé ne fasse un mauvais parti à la monture. Tant mieux, nous en sommes
quittes pour la peur. Gonzalito prend
bravement la cape, passe trois fois l’encorné et le renvoie à Pepe-Hillo qui le reprend dans un
travail de cape admirable. Le matador s’avance ensuite la muleta à la main.
Plusieurs passes naturelles, une en rond (redondo),
une de poitrine (de pecho) sont les préliminaires
d’une seconde estocade bien signalée (applaudissements).
Mais voici que s’avancent les
Pegadores nègres, en costume de matelot, ils se tiennent dans une façon de
navireen toile peinte, armés de javelines, ils attendent la sortie du toro qui
ne tarde pas à paraître. La brute s’élance contre eux, mais criblée de
javelines, elle fait demi-tour et devient méfiante, c’est alors que ces vrais
fantoches s’approchent de biais, l’un après l’autre, et l’animal ahuri est
percé d’autres javelots. Lorsqu’il veut foncer, les caricatures se jettent à
terre, et la bête dans son élan ne peut les saisir. Cette partie de la course
a, pendant un moment, amusé le public ; je connais deux graves sénateurs qui, malgré leurs haussements
d’épaule, ne pouvaient s’empêcher de s’esclaffer de rire.
Les Pegadores reparaissent pour le
quatrième toro, petit Banuelos, ils
sont accueillis par de vigoureux et unanimes sifflets, Bento Leal fait un saut à la perche qui passe inaperçu ; c’est
alors que les nègres essaient de faire une pega ;
les malheureux noirs font tout ce qu’ils peuvent pour plaire. L’un d’eux
appelle le toro, le saisit adroitement par les cornes et se jette entre les
deux pointes, pendant que les trois autres se suspendant au cou de l’animal,
cherchent à l’immobiliser. Les sifflets continuent, décidément le public n’aime
pas ces jeux grossiers.
Paraît le cinquième toro, autre Banuelos, vif ; il reçoit six
javelines de (José) Bento (de Araújo), dont deux courtes. Pepe le passe de front par derrière (frente por detras) et avec son frère Luis, chacun tenant un bout de cape, le capent à deux (el Alimon). Pepe prend la muleta, et après quelques passes naturelles faites en
courant sur cet animal désordonné, signale encore une bonne estocade.
Voici le sixième toro, il est de Hernan, beau type d’andalou, fort et
puissant, admirablement armé. Le jeu de Pepe-Hillo
se révèle ici comme celui d’un bon torero, excellentes véroniques, faites avec
sérénité sans mouvement des pieds, brillantes navarraises ; le public
froid jusqu’alors, s’anime et applaudit. Le diestro prend les banderilles, il
pique d’une première paire de côté le toro près de la barrière (sesgo). Gonzalito profite du mouvement fait par la brute pour piquer au
relancé. Le public commence à s’allumer ; on applaudit à outrance deux
autres paires de banderilles piquées au sesgo.
Pour les connaisseurs, cette façon
de piquer est l’une des plus difficiles et des plus appréciées, car à ce moment
le toro tient la défensive. Pepe
prend la muleta, après de remarquables passes faites de près et dans les règles,
il frappe son toro d’une magnifique estocade haut la main et al encuentro (à la rencontre).
Le public, enlevé, lui fait une
ovation méritée.
APPRÉCIATIONS
Au point de vue de la course en elle-même,
on ne peut bien juger des qualités et des défauts du bétail. Nous ne parlerons
pas des toros destinés aux pegadores ; ceux piqués par le cavalier en
place, passent au jeu espagnol avec toutes leurs facultés. Ils portent haut,
sont coureurs et désordonnés, graves défauts qui rendent même la lutte
impossible parfois. Le quatrième toro, par exemple ; difficile à fixer
pour la muleta, prouve rigoureusement ce que nous avançons. Il doit paraître
sous peu, un petit volume Toros et
Toreros, qui fera comprendre mieux que nous ne pourrions le faire, les
conditions dans lesquelles doit se présenter un animal pour la difficile et
dangereuse suerte de muleta. Aussi
les deux toros désignés pour servir au quadrille, ont-ils été de beaucoup mieux
travaillés, malgré que le premier fut de tempérament peu batailleur ! Le
sixième toro, de belle encolure, admirablement armé et de poids, s’est montré
bon à la cape, mauvais à la banderille, c’est-à-dire ne répondant pas à l’appel
et bien à la muleta. Le bétail de Hernan était plus fort que celui de Banuelos.
En somme, toros réguliers.

(José)
Bento de Araujo magnifique et
excellent écuyer, s’est fait applaudir au second toro ; bête vive et
alerte, telle qu’il la fallait pour ce jeu spécial ; son premier toro, en
revanche n’a pu faire valoir les qualités du vaillant rejoneador.
Pepe-Hillo
est un vrai matador doublé d’un bon torero. Les largas faites au premier toro étaient gracieuses, les véroniques
avec lesquelles il a reçu le dernier toro étaient faites avec art en usant des
bras seulement et d’une flexion de la partie supérieure du corps, les pieds
immobiles, ce qui fait le mérite et le style de ces belles passes. Les navarraises
à ce même toro étaient vives et brillantes. Si nous jugeons ses banderilles,
nous dirons qu’il est vraiment dommage qu’on ne les ait pas appréciées à leur
juste valeur ; en Espagne, deux paires comme celles qu’il a piquées,
auraient soulevé une explosion d’enthousiasme. Au sesgo ! une des plus difficiles et des plus dangereuses suertes de banderilles ; nous expliquons
plus haut pourquoi. Mais où Pepe-Hillo
est supérieur, c’est dans sa façon de se placer pour l’estocade. A une longueur
d’épée, bien profilé sur la corne droite, il attaque dans toutes les règles et
porte des coups heureux. Se arranca en
corto et por la derecha, disait certain
aficionado que je connais bien. L’estocade
signalée au sixième toro, portée haut la main, al encuentro, c’est-à-direen citant le toro et en allant sur lui,
est du plus grand mérite. Il est malheureux pour ceux qui aiment voir un toro
bien tué qu’il n’ait eu qu’une banderille en main à ce moment-là !
Gonzalito
est un intelligent peon (homme à
pied) en même temps qu’un torero achevé. Très bien aux banderilles. Il a
vivement capé le quatrième toro et s’est attiré des applaudissements mérités. Luis bien aux banderilles.
Quelle note triste doonait ce toril
avec ses gradins vides, ces places qui semblent infiltrer au cœur de ceux qui
croient s’y reposer, la passion taurine dans ce qu’elle a de plus pittoresque !
Nous ne reviendrons pas sur toutes
les critiques qui ont été faites par nos confrères ; M. Fayot, qui est
désireux de plaire au public nimois, a déjà opéré toutes les réformes que l’expérience
d’une première course lui a suggérées.
Le
spectacle qui avait manqué d’unité et qui n’avait présenté qu’une série de
hors-d’œuvres, va devenir ce qu’il doit toujours être : une course dans
laquelle ne paraîtront que le caballero en plaza, la cuadrilla et les
picadores, la vrai corrida enfin !
Les pegadores qui avaient jeté la
note triste et grotesque sont supprimés et remplacés par deux picadores qui ont
déjà fait leurs preuves en Espagne, l’un d’eux Manuel Gonzalez (Baulero) a
combattu dans la cuadrilla de Lagartijo.
Les afficionados pourront retrouver
leurs anciennes places sur les gradins du podium, le prix ainsi que celui de l’amphithéatre
ayant été abaissé dans de sensibles proportions, 1 fr. 50 pour l’entrée, 2 fr.
50 pour les troisièmes ou toril.
Nul doute qu’avec ces modifications
et un peu de décoration, notre vieil amphithéatre ne reprenne son air de fête
qui fait en partie le charme des grandes courses.
MANUELITO.
In LA CHRONIQUE MONDAINE, Nîmes – 6 de Maio de
1893