CARA-ANCHA A NIMES
La course du 7 août
Nous donnons un peu plus loin le compte rendu de la course de dimanche, mais il nous a paru nécessaire de faire quelques réflexions sur les conséquences de cette solennité tauromachique. Nos lecteurs nous pardonneront d’oublier un moment de politique.
Enfin le fait est acquis : on a tué à Nimes ! Enfin on a accédé au désir si longtemps manifesté par toute une ville et par toute une région amoureuse d’un specatacle dont on les avait privées depuis si longtemps et on a tué !!!
On s’est enfin carrément assis sur la loi Grammont qui est faussée entièrement par ceux qui ont mandat de l’appliquer. On a admis une bonne fois pour toutes que l’erreur que l’on commet dans son application était bien une erreur et qu’on devait passer outre. On l’a fait et nous applaudissons.
Dans l’intérêt même du parti que nous défendons, nous, journal républicain, nous sommes heureux de voir qu’on renonce enfin à froisser des susceptibilités et qu’on fait taire bien des murmures qui s’élevaient depuis longtemps, même parmi les plus fidèles d’entre nos partisans, qui accusaient nos mandataires d’une impuissance par trop grande.
Que nos édiles ne s’y trompent pas : dans les délirants bravos qui ont éclaté à la splendide fête tauromachique de dimanche, il leur en revient certainement la plus large part et ce frénétique enthousiasme était tout autant la manifestation de la reconnaissance du public, à qui on donnait enfin gain de cause, que la juste récompense accordée au travail merveilleux auquel on assistait.
Si notre municipalité avait pu perdre un seul instant la sympathie dont sont animés ses administrés, elle pourrait se flatter de l’avoir reconquise et au-delà dans l’après-midi du 7 août. Nous en sommes heureux pour elle et ne lui ménageons pas nos éloges.
Tout le monde, du reste, mérite des louanges.
La Direction de la rue Pergolèse, représentée à Nimes par le si sympathique comte del Villar, par M. Fayot et par d’autres hautes personnalités qui, bien que moins en lumière, n’en ont pas moins été actives, a droit, non seulement à nos éloges sans réserve, mais encore à toute la reconnaissance de la population aficionada du Midi en entier, car hier, elle a contribué à implanter d’une façon magistrale les courses de mise à mort. Et si nous disons de tout le Midi nous n’exagérons rien et en prenons le témoignage à l’encombrement de la gare, aux nombreux trains venant de directions diverses. Le public aficionado a contracté, vis-à-vis de ces sympathiques et peu ordinaires impressarii, une dette de reconnaissance, si comme nous le pensons bien, c’est grâce à leur initiative hardie que les courses de mises à mort sont implantées dans Nimes.
Le public a donné également une preuve de la confiance qu’on peut avoir et dans son bon sens et dans sa connaissance en tauromachie. Nous devons l’en féliciter grandement.
Il ne nous reste qu’à exprimer notre désir qui est celui des 15.000 spectateurs de dimanche. C’est le suivant : il est impossible que, une fois la preuve faite, les administrateurs de la rue Pergolèse ne donnent pas une suite à la course du 7 août. Nous sommes certainement l’interprête du public en demandant pour le 21 août une deuxième grande course. Nous pensons qu’une data rapprochée vaut mieux, car plus tard, en septembre, nos campagnes sont dans la fièvre des vendanges, et bien que l’attrait du plaisir soir grand, l’importance de la récolte l’emporterait.
Nous conservons le ferme espoir que le spectacle de dimanche n’est qu’un premier jalon de planté et un grand pas de fait, en tout cas, vers l’accomplissement des désirs populaires en ce qui est des courses espagnoles.
G…
La Course
Dès le début de la course, le public a été enthousiasmé. Le cortège a fait son entrée avec un cérémonial auquel nous étions peu habitués.
Les alguazils en costume, la cuadrilla, le caballero en plazza, les picadores, toute l’armée des aréneros, des monos sabios ont été fort appréciés.
Puis à une sonnerie toute espagnole, le spectacle a commencé.
1er taureau. — Calcetero. — Noir, bien en formes, mais mou et de peu d’énergie. Il prend néanmoins cinq piques bonnes sans conséquences sérieuses et deux bonnes demi paires de banderilles.
Cara-Ancha
donne de bonnes passes de muletta dont deux avec la main gauche et deux avec la
main droite et fournit une bonne estocade à Volapié.
Il reçoit 4 banderilles bonnes, après de superbes passes. Il saute plusieurs fois la barricade, et se rue avec tant de violence sur elle qu’il la brise. Il faut signaler deux bonnes paires de Carillo et de Frutos. Cara-Ancha fait des passes qui enlèvent le public.
Lobo est merveilleux à la muletta. Il s’agenouille devant le taureau ; le public enthousiaste réclame la mort. Bon simulacre au volapié.
Une ½ paire mauvaise de Jose Diaz. Le toro se met entablerado près du toril. Il est difficile aux banderilles. Il en prend deux bonnes paires de Frutos et de Manuel Garcia. Lobo prend la muleta, il fait 2 bonnes passes droites, 3 de gauche et donne l’estocade un peu haute.
4e taureau. — Calabazo. — Le taureau est grand, bien encorné. (José) Bento de Araujo, fait ses exercices qui lui valent de longues ovations. Puis le toro reçoit 3 piques d’el Artillero, et 1 courte excellente de Manuel Vargas.
Cara-Ancha prend les banderilles. Il fait une fausse attaque où il fait preuve, en évitant la bête, de sa science profonde. Il fait un appel et place à l’écart d’une façon merveilleuse une paire, puis deux autres paires supérieures, à frente. Trois autres paires supérieures sont placées par Carillo, Frutos et Cara-Ancha. Enthousiasme.
Le diestro s’arme de la muleta. Il fait deux passes à gauche, trois à droite, une de poitrine et quatre autres droites. Il donne l’estocade excellente à volapié. Acclamations.
5e taureau. — Cigueño. — Celui-ci fait une sortie fort applaudie. Il reçoit deux piques courtes bonnes de Trigo, le cheval est blessé. Trois bonnes piques sont données par Salguero, dont le cheval est tué. Cara-Ancha fait de bons quites dans les cinq chutes.
Trigo donne une excellente pique. Son cheval est renversé. Cara-Ancha fait un quite para la queue.
Pedro Campos place bien une paire. Carillo en place une superbe, puis une demi-paire.
Cara-Ancha prend la muleta et l’espada. Le public applaudit puis devient attentif. Un grand silence se fait. Le diestro fait une à droite, une à gauche et une à droite.
Il donne d’abord une estocade courte au volapié. Au second coup d’épée, il rencontre l’os à gauche. Il fournit ensuite une demie estocade bonne.
Le taureau se couche. Cara essaie un descabello et est désarmé. Il essaie ensuite 5 descabellos. Le puntillero achève l’animal. Applaudissements.
6e taureau. — Finito. — Il est noir, fait une bonne sortie, et va prendre aussitôt une pique de Francisco Parente. Il bondit et blesse le cheval au cou. Cara fait plusieurs passes redondo (en rond) fort remarquables. Le toro prend deux bonnes piques de Vargas, Lobo fait un quite excellent. Trois chútes. Le taureau est collant. Il attaque Parente qui fournit une bonne pique et est renversé. Cara fait un quite fort applaudi.
Lobo place deux bonnes paires. José place une mauvaise ½ paire. Le toro prend querencia près du toril. Lobo place une très bonne ½ paire.
Cara-Ancha fait 5 bonnes passes de muleta changées. Le toro fuit, Cara le rejoint. Il fait 2 bonnes passes de droite, une bonne à gauche et donne d’abord un pinchazo, puis tue l’animal de deux bonnes estocades. Ovation frénétique.
L’impression
La satisfaction a été générale. Le public était heureux d’avoir assisté à une grande et belle course. Les organisateurs, ont dû être flattés dans leur amour-propre des marques de sympathie, que ne leur a pas ménagé le public.
C’est pour eux un encouragement dont ils tiendront compte, nous en sommes sûrs. Dax et Mont-de-Marsan ne se flatteront plus d’avoir diminué à leur avantage notre vieille réputation, l’élan est donné. Les grandes fêtes de l’épée, brillant au soleil devant la foule joyeuse, sont consacrées.
In LE PETIT RÉPUBLICAIN, Paris – 9 de Agosto de 1892