13 DE SETEMBRO DE 1891 – PARIS : O RELATO EXAUSTIVO DE UMA TOURADA NA PRAÇA DO BOIS DE BOULOGNE

 


Bibliothèque nationale de France

Chronique Théatrale

Voilà longtemps que j’ai envie de vous entretenir de la Plaza de Toros, car voilà longtemps que je passe des après-midi aussi émouvantes qu’agréables, dans ces gigantesques arènes qui ne peuvent être comparées qu’aux amphithéatres romains de Nîmes et d’Arles.

            Lá, point de cénacles littéraires qui soutiennent la pièce la plus imparfaite, point de coteries qui fassent crouler l’œuvre la plus méritoire ; mais le public, le vrai, qui applaudit, qui délire ou qui proteste, siffle et commande rendant plus saisissante cette pensée d’Amédée Achard : « Au cirque il n’y a qu’un maître, le peuple. La République règne et gouverne dans l’enceinte. »

            Voilà à mon avis, et n’en déplaise à mon éminent confrère du Temps, le véritable spectacle d’été, le seul capable de nous reposer des énervements de la saison théatrale, et de rendre, par la vue du courage et de l’adresse aux prises avec la force brutale, un peu de fermeté à nos nerfs ébranlés par les mièvreries de la littérature moderne.

            Je veux vous faire le récit succinct de la journée d’hier et je compte même vous donner chaque semaine une physionomie rapide des courses de la veille. Ne craignez point de me voir tomber dans d’éternelles redites : ici, le grand acteur, celui qui met en branle tous les autres artistes, ne connaît point de rôle par cœur ; d’ailleurs à quoi lui servirait cette vaine science, puisqu’on l’abat au sortir de l’arène.

            Après le grand défilé et la présentation des cuadrillas qui se font chaque dimanche avec tout le cérémonial usité dans les courses royales de Madrid, les trompettes font retentir les voûtes sonores de la Plaza de leur son aigu et le premier taureau bondit dans l’arène. Malgré sa race et sa force apparente, le premier combattant ne présentait pas les qualités requises pour fournir une bonne course. Les mouchoirs s’agitent, les sifflets retentissent et bientôt de toutes parts ce n’est qu’un cri : « otro toro ! » Toujours magnifique, la direction de la Plaza envoie les cabestros (vieux bœufs dressés, auxquels obéissent les taureaux) rechecher le fuyard et donne immédiatement une autre bête qui après avoir bourré les picadores et chargé les toréadors périt conventionnellement sous l’estocade d’Angel Pastor.

            Cet Angel Pastor est avec Valentin Martin un des plus habiles matadores qu’il nous ait encore été donné d’applaudir aux arènes du Bois-de-Boulogne. Grand, bien découplé, il possède au plus haut point cette allure noble et fière qui est une des qualités inhérentes à ses compatriotes. Les jeux de la cape n’ont point de secrets pour lui et il manie la muleta avec autant de grâce que d’adresse, se faisant de ce petit morceau d’étoffe écarlata un véritable bouclier.

            Dans la course suivante le succès a été partagé entre (José) Bento de Araujo, si gracieux et si bien en selle sur son superbe genet d’Espagne, et le matadore (NOTA : matador) Mateito ((NOTA : Mateíto) dont la hardiesse est vraiment remarquable.


En général, les taureaux étaient hier assez bénévoles. Les deux derniers cependant ont permis au caballero en Plaza d’accomplir des prodiges de témérité et à Angel Pastor de planter les banderilles assis sur une chaise avec une habileté et une audace qui lui ont valu des applaudissements frénétiques.

            Entre chaque course, l’orchestre fait entendre de ces jolis chants d’Espagne qui vous transportent tout à coup dans la patrie des sérénades et des danses folles et qui laissent dans nos âmes un peu de cette poésie que dégage à nos yeux tout ce qui nous vient de l’autre côté des Pyrénées.


In LE BONHOMME FRANÇAIS, Paris – 13 de Setembro de 1891