FRANCE (1891-1894) – LE "CABALLERO EN PLAZA" JOSÉ BENTO DE ARAÚJO


 

JOSÉ BENTO DE ARAUJO

Un téméraire ! Un artiste ! Sa renommée est universelle et il n'est pas au-dessous de sa renommée. L'Espagne, le Portugal, la France ont tour à tour applaudi ce maître caballero en plaza.

Il y a quelques jours à Nîmes, hier à Marseille, il émerveillait les amateurs les plus raffinés par l'habileté de son jeu, l'élégance de sa forme, son courage dédaigneux du danger dans cet exercice chevaleresque, legs des anciens tournois.

Sans autre défense contre l'attaque de l'animal que de tourner en cercle autour de la bête furieuse, manoeuvre plus difficile encore chez nous, à cause de la forme du cirque, nous l'avons tous admiré. Le hardi cavalier, armé de sa longue javeline, maniant son cheval avec une incomparable dextérité, suivait les mouvements les plus imprévus du taureau, et le piquant de son rejón sans hésiter, sans faillir.

Mais c'est une biographie du héros que nous avons promise. La voici:

José Bento de Araujo est Portugais : il est né à Lisbonne.

Il débuta, il y a dix huit ans, à Junqueira. Depuis, toutes les grandes villes d'Espagne et de Portugal l'ont acclamé.

Les rois et les princes eux-mêmes l'ont honoré de leurs suffrages et de leurs sympathies. C'est ainsi que (José) Bento (de Araújo) conserve précieusement une selle de très grande valeur qui lui fut offerte à Lisbonne par les membres du Turf-club et un superbe porte-cigare que le roi Alphonse XIII lui donna à Madrid, des épingles offertes par le roi D. Carlos du Portugal et son frère Alfonso Henrique, qui, lui aussi, est un grand aficionado et combat le taureau avec beaucoup d'adresse.

En 1890, il prit part aux grandes fêtes de San Isidro, données à Madrid avec le concours de Mazzantini, Espartero, et Guerrita. C'est à la suite du succès obtenu dans ces journées que la direction de la plaza de Paris l'engagea, à de très belles conditions, pour la saison de 1891-1892.

C'est un téméraire, nous l'avons dit. Comme le soldat, qui compte de nombreuses campagnes et a mille fois affronté le danger, il porte de glorieuses cicatrices.

À Lisbonne, il eut la jambe cassée dans une chute de cheval; à Cartaxo, trois côtes enfoncées et un pied luxé; à Porto il eut la mâchoire brisée d'un coup de corne. La reine le manda dans sa loge et détacha une bague de sa main pour la lui remettre.

Terminons par une anecdote, que j'emprunte à un de mes confrères :

"À Cartaxo, dans une course au bénéfice de l'Hospice municipal, il fut renversé avec une telle violence par un taureau contre une barrière, que celle-ci se brisa en mille éclats.

"Une énorme esquille se logea dans la cuisse et se rompit net à l'orifice de la blessure. Les chairs se rapprochèrent et la recouvrirent.

"On emporta aussitôt (José) Bento de Araujo à l'hospice, et les médecins mandés déclarèrent, après examen, que l'amputation était nécessaire.

"(José) Bento (de Araújo) écouta leur arrêt, mais il protesta avec énergie, déclarant qu'il aimait mieux la mort que la mutilation. On insista, il fut inébranlable. Un des médecins, ami personnel de (José) Bento (de Araújo), lui fir remarquer qu'il était indispensable, pour sonder la blessure, de l'endormir. Il ne consentit à respirer le chloroforme qu'après avoir fait jurer au médecin, sur la tête de ses enfants, qu'on n'abuserait pas de son sommeil pour l'amputer.

"On l'endormit donc, à cette condition, et les médecins, ayant débridé la blessure, découvrirent l'énorme éclat de bois qu'ils rétirèrent. Quarante jours après, (José) Bento (de Araújo), remis, reparaissait dans l'arène de Cartaxo."

Voilà l'homme.

Puissent, ce juste hommage rendu à sa maestria et à sa valeur hors ligne et le témoignage de notre inaltérable sympathie le dédommager de certains ennuis.

L.B.

In TOROS ET JOURNALISME – UN ANCÊTRE DE LA PRESSE TAURINE BÉZIERS, 1893 – "LE TOREO ILLUSTRÉ", Marc Thorel, U.B.T.F. 1987, France.